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Les mots

Parce qu'il n'y a pas que les images, les mots viennent ajouter une profondeur dans ce tableau dont la vocation est, et sera toujours, de vous transmettre quelque chose. Les deux sont indissociables. Seuls, ils ne représentent que la moitié de ce qu'ils sont, ils s'interprètent mutuellement... C'est une véritable symbiose.

... extrait "Les Âmes Noires"

Ouvrage de fiction fantastique .

De puissants martèlements métalliques émanant des forges de la cité résonnaient aux quatre coins de la vallée tandis que le fleuve suivait son cours avec la tranquillité d'une force en sommeil sillonnant inlassablement ses contrées. Le ciel, aussi sombre qu'un soir d'automne, semblait ne plus pouvoir se départir de ses éternels cumulus d'un triste gris, figés à jamais sous la voute céleste, masquant ainsi un soleil fatigué qui peinait à réchauffer cette terre désolée et défraîchie. Aussi loin que pouvait porter le regard, tout semblait épuisé, brisé, une végétation condamnée à n'être plus que l'ombre de ce qu'elle fut jadis, un sol si longtemps empoisonné par l'activité des hommes qu'il en était devenu stérile. Seules quelques espèces coriaces et obstinées arrivaient encore à percer la croute rocailleuse. Et au milieu de toute cette désolation, des ruines s'étalaient à perte de vue, vestiges d'un lointain passé. Celle qui fut autrefois une métropole rayonnante n'était plus qu'une survivante estropiée, se relevant avec peine des terribles guerres qui furent fatales à bien d'autres comme elle. Heaven, dernier bastion d'une civilisation anéantie, ultime refuge pour un peuple en souffrance, fragile espoir pour tous ceux qui cherchaient désespérément un foyer. Au centre de ses cendres, fière et dressée comme un ultime avertissement à tous ceux qui chercheraient encore à lui vouloir du mal, se tenait la cité des espoirs. Son cœur grouillant de vies où fourmillaient les milliers de chanceux qui avaient pu trouver une place en son sein. Mais tous n'avaient pas eu cette veine car nombreux avaient été les réfugiés qui avaient déferlé sans relâche à ses portes pendant des siècles pour solliciter sa clémence et qui n'avaient eu d'autre choix que de s'installer au pied de ses remparts dans l'attente de jours meilleurs. Ils étaient originaires de tous les recoins du continent, ils étaient devenus malgré eux les témoins de l'extinction des peuples, gardiens de l'histoire d'un monde disparu.

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Sur les hauts remparts d'acier et de béton, l'officier Protecteur Asteron Sigma se tenait droit, immobile, les mains jointes derrière son dos et le regard au loin sur l'horizon. Aujourd'hui était un nouveau jour, et comme chaque matin, avant d'entamer sa tournée, il venait ici même, à l'angle du rempart ouest généralement désert, raison pour laquelle il l'avait choisi. C'était en quelque sorte son lieu de recueillement. L'endroit où il venait méditer tranquillement. Sauf qu'aujourd'hui, ce n'était pas tant le calme qu'il était venu chercher, il attendait patiemment l'arrivée d'une jeune recrue directement recommandée par le Commandant en personne. Soit ce jeune homme les avait visiblement impressionnés durant ses classes soit il était issu d'une haute lignée favorisée par son statut. Asteron comptait bien faire la différence durant cette première journée. Il ne lui était aucunement difficile de distinguer une bonne d'une mauvaise recrue. Les Protecteurs étaient très exigeants en matière de recrutement, car après tout, ils étaient le bras armé de la cité, et peu importait le pédigrée. Il leur incombait donc d'assumer la défense du peuple et d'appliquer la justice sous le respect des lois en vigueurs. Seuls les plus doués parvenaient à rejoindre leurs rangs. Une élite parmi les élites. Jouissant d'une autonomie totale, ils ne dépendaient d'aucun pouvoir quel qu'il soit. Même le Haut Conseil ne pouvait les influencer dans leurs décisions. C'était d'une importance capitale. Car les conflits d'intérêts et les abus de pouvoir étaient une gangrène notoire qui rongeait les piliers d'une société. Le passé regorgeait de nombreux cas de ce genre, une époque où l'humanité s'était engouffrée sur un chemin parsemé de non sens dont la seule issue ne pouvait être que l'effondrement.

Durant ses jeunes années, lors de son éducation au Centre des Enseignements, l'officier s'était toujours demandé pourquoi les hommes et les femmes qui avaient érigé à la sueur de leurs fronts les anciennes sociétés, avaient toléré de telles injustices à leur égard. Ce à quoi les Érudits lui avaient répondu que ces peuples n'avaient eu guère le choix, qu'ils avaient été dirigés durant de nombreux millénaires par un système de politiciens qui eux même dépendaient d'une oligarchie composée des plus fortunés de la planète. Des éminences grises. Une poignée d'hommes de l'ombre qui jouaient avec l'avenir des nations dans leurs seuls et uniques intérêts. Ce jour là, Asteron avait ressenti alors une profonde colère, il était resté durant plusieurs heures à chercher les raisons qui avaient contraint les populations à ne pas se soulever. Puis il avait fini par abandonner, frustré, comprenant du coup que certaines choses manquaient littéralement de logique et que dès l'instant où les systèmes avaient été établis sur la dépendance de l'individu il était difficile de s'en libérer sans mettre en péril sa propre survie.

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... extrait "Runes"

Ouvrage de fiction fantastique .

  • Où te caches-tu maline petite bête ?

Ilina était tapie dans l'ombre d'un saule, silencieuse, la corde de son arc tendue, à l'affut d'une proie qu'elle pistait depuis plusieurs heures, bien avant le couché du soleil. La pleine lune avait progressivement remplacé l'astre du jour et dominait maintenant de toute sa clarté la forêt de Silmahud, projetant une lumière blafarde qui offrait à son regard tous les détails d'une nature monochrome, reflétant en nuances de gris, l'herbe, les rochers et les arbres. La jeune femme était parfaitement capable de percevoir le monde de nuit, et avec l'aide de la lune, c'était encore mieux. Un léger bruissement aux abords de la clairière attira son attention, ses pupilles se dilatèrent, captant un maximum de lumière. Non loin, une masse sombre apparut, sortant à pas feutrés d'un buisson, aux aguets, se déplaçant au ras du sol. Elle attendit un meilleur angle de tir, la respiration lente et régulière, ajustant sa position, augmentant légèrement la tension de sa corde, prête à lâcher. Quant soudain, le hululement d'une chouette vint perturber le silence et effraya l'animal qui détala précipitamment.

  • Que les ombres de la nuit t'emportent oiseau de malheur.

La mauvaise humeur finit par l'emporter sur l'enthousiasme qui avait débuté cette chasse, cela faisait maintenant plus d'une journée entière que la jeune femme ne s'était pas arrêtée, la faim la tenaillait et les nuits étaient encore fraîches à cette époque de l'année. L'hiver n'était pas loin de son achèvement mais le soleil restait encore timide en journée. Il était hors de question de laisser sa proie filer de la sorte, pas après tant d'efforts. Elle se remit en marche, accélérant le pas et prenant garde de ne pas l'alerter.  Elle passa entre deux énormes chênes millénaires et arriva au dessus d'un flanc de colline qui donnait sur la vallée en contre bas. On pouvait entendre l'écoulement de la rivière qui sillonnait au travers d'un tapis d'arbres si dense qu'il était impossible de distinguer le sol. Un léger vent du nord venait faire trembloter les feuillages en un doux murmure, donnant l'impression que la forêt chuchotait secrètement ses petites malices, et une délicieuse odeur de cyclamen parfumait l'air environnant, enivrante à souhait.

 

Il fallait bien admettre que cet animal était de loin le plus rusé de cette forêt, capable de se dissimuler et de rester cacher avec une patience infinie durant des jours entiers s'il sentait un danger dans les parages. Le panrigon était une espèce dotée d'une intelligence acérée et d'un caractère rude, peu farouche, il n'hésitait jamais à tenir tête à ses prédateurs s'il se retrouvait acculé. Ses longues griffes qui lui servaient à creuser des terriers sous des sols durs étaient également capables de déchirer des cuirs épais. Ses dents semblables à des broyeurs constituaient des armes dangereuses dont il faillait se méfier. Ses pattes courtes et musclées lui octroyaient une vivacité ainsi qu'une vélocité surprenante. En d'autres termes, le chasser était un défi que tout jeune habitant de la forêt se devait d'honorer pour gagner sa place dans le monde des adultes. Tel était l'un des devoirs d'Ilina, âgée d'à peine seize printemps, le temps était venu pour elle de démontrer ses capacités à prendre la relève dans la protection du village des Silmas. Un peuple pacifique qui habitait cette région depuis que leurs ancêtres s'y étaient établis trois mille ans plus tôt. Le rite de passage avait, depuis son origine, toujours suscité la crainte des plus jeunes, chacun se demandant s'il serait à la hauteur, s'il n'allait pas échouer et déshonorer sa famille. Mais Ilina ne s'en souciait pas, elle avait travaillé dur pour s'y préparer, et à la pensée de ses parents elle se sentait soulagée et confiante. Depuis sa plus tendre enfance, son père lui avait enseigné sagesse et patience, tandis que sa mère était plutôt portée sur l'art des arcanes, les femmes Silma ayant reçu le don de pouvoir communiquer avec l'au delà. Ce qui, auprès des autres peuples, leur valait un certain respect mêlé d'une crainte pas toujours désirée. Les échanges avec les habitants du continent s'en ressentaient bien trop souvent, avec pour conséquence un isolement qui contraignait à une certaine autarcie. Mais les Silmas n'étaient pas un peuple à se laisser décourager, ils avaient fondé une culture ancestrale et menaient aujourd'hui une vie paisible sur l'île de Frayen, loin des conflits des hommes.

Une vive brulure arracha Ilina de ses pensées, elle grimaça sous la douleur et regretta sur le moment d'avoir volontairement ignoré la première fois où cela lui était arrivé quelques semaines auparavant. Elle massa lentement le haut de sa hanche se reprochant de ne pas en avoir parlé à ses parents. Elle avait jugé cela inutile, convaincue qu'il ne s'agissait là que d'une chose anodine. Mais aujourd'hui, la douleur avait atteint un stade qui la préoccupait. Elle se promit donc d'en faire part dès son retour. C'est alors qu'un mouvement apparut dans son champ de vision, elle mit de côté ses préoccupations ainsi que sa douleur et se concentra sur son objectif. Le panrigon venait de quitter une couche de végétation sous laquelle il avait trouvé refuge, l'absence de bruits suspects  lui ayant redonné un brin de confiance il reprit son chemin, humant l'air et la terre, cherchant sa pitance, inconscient de la présence de la jeune femme non loin de lui. C'était le moment pensa-t-elle, elle brandit son arc, profitant d'une vue dégagée puis le banda. Elle prit une profonde inspiration, bloqua son souffle, priant intérieurement que rien ne vienne effrayer une fois encore sa proie. Puis elle lâcha la corde qui émit un sifflement caractéristique à la vibration d'une flèche décochée avec précision. Ilina aimait ce type de moment, cela lui procurait excitation et satisfaction, l'accomplissement d'un travail appliqué. L'animal eut à peine le temps de relever la tête, de dresser ses oreilles, réalisant trop tard que quelque chose n'allait pas, sentant un mouvement dans l'air qu'il n'eut pas le temps de comprendre, ses yeux s'agrandirent sous l'effet de surprise au moment où la flèche l'atteignit en plein flanc. Il s'écroula.

La jeune femme poussa un cri de victoire qui perça les profondeurs d'une nuit déjà bien avancée. Elle fut submergée d'une immense joie, sentant son cœur se libérer, et son esprit fut envahi par une sensation de bien être, l'ultime aboutissement après trois jours passés à tenter de débusquer l'animal. Elle s'approcha de la dépouille, s'agenouilla avec respect à ses côtés et la regarda dans un silence solennel. La vie quittait le corps du panrigon, ses yeux d'un noir profond fixèrent la jeune femme pendant quelques secondes avant qu'il ne rende son dernier souffle. Ilina passa délicatement ses doigts dans la fourrure, la caressant dans une dernière volonté  puis lui fit ses adieux selon les usages de son peuple.

  • Pardonnes-moi enfant de la forêt... Tu as accompli ta destinée... Que ton esprit quitte ce corps dans la paix... Vas... Parts rejoindre tes ancêtres... Que ton existence dans l'au delà soit des plus heureuses. Ainsi va le cycle de la création.

Elle resta là sans bouger, communiant avec l'être à qui elle venait d'arracher l'âme, attendant de ressentir le pardon octroyé pour cet acte qui demandait reconnaissance et respect pour la vie. L'ordre naturel ne devait jamais être perturbé, c'était l'une des règles fondamentale de son peuple. Des larmes commencèrent à s'écouler le long de ses joues, leur chaleur réconfortante réanima sa joie, elle releva la tête pour observer un ciel parsemé d'une myriade d'étoiles scintillantes. Elle sourit, puis, s'adressant à la voute céleste.

  • Merci...

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